Les critères d'Estérelle Payany, critique gastronomique

Par Lydie, le 05 septembre 2024

Qu’est-ce qu’un restaurant véritablement durable ? C’est la question que se pose régulièrement la critique gastronomique Estérelle Payany qui publie ses billets dans le magazine Télérama Sortir. Du boui-boui au restaurant étoilé de la capitale, la journaliste affine depuis 15 ans ses critères. Elle nous raconte.

Vous êtes particulièrement sensible à la démarche écoresponsable des restaurateurs ?

Tout dépend de ce que l’on appelle écoresponsable. Le terme est tellement fourre-tout. Il n’y a pas de définition, ni de réel encadrement. Certes, il existe des labels, mais tous ne sont pas vérifiés… 

 

Plus largement, je dirais surtout que je ne comprends pas que les restaurants ne pratiquent pas tous l’écoresponsabilité. Les avantages sont pourtant énormes sur la maîtrise des déchets et des coûts.

Selon vous, l’écoresponsabilité ne devrait pas être une option ?

Pour moi, c’est une cuisine qui a du sens. Mais, il faut tout de même reconnaître que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. 

 

En France, il y a des coins où il est plus difficile d'être écoresponsable. Car les problématiques ne sont pas les mêmes selon les régions et les nœuds d’approvisionnement. C’est vraiment à prendre en compte. Selon l’engagement local, cela ne va pas demander le même effort ni la même implication.

Dans vos critiques, portez-vous le même regard sur un restaurant engagé et sur un restaurant lambda ?

Si le restaurant affiche son engagement écoresponsable, qu’il revendique quelque chose, je vais forcément être plus attentive pour vérifier que ce qu'il promet est vrai. Je vais porter une attention particulière sur ses produits : sont-ils bio ? Locaux ? De saison ? 

 

Tandis qu’un restaurateur qui fait de l’assemblage et qui ne s’en cache pas, je n’ai pas à le juger sur ces critères.

Quand vous vous attablez dans un restaurant qui affiche son écoresponsabilité, à quoi êtes-vous sensible ?

Option végétarienne

Il faut au moins une option végétarienne. Ce n’est vraiment pas compliqué à mettre en place alors s’il n’y en a pas, je vais tiquer. Pour moi, c’est vraiment le minimum en 2024.

 

Origine des produits

Pour les viandes il est obligatoire d’afficher leur origine mais ce n’est pas toujours fait. D’ailleurs, je suis sensible à l'origine de toutes les viandes et pas seulement celle du bœuf.

Pour le poisson, je consulte la liste des espèces menacées d’Ethic Ocean. Je fais aussi attention à la saisonnalité de certains produits, comme les Saint-Jacques. Et surtout, quand quelque chose m’intrigue sur le menu, je vais discuter avec le chef avant de juger. Parfois on va être étonné de voir une espèce à la carte mais il s’avère que c’est exceptionnel, qu’on a dû changer de poisson par manque de disponibilité.

 

Miser sur le local

Je vais aussi être sensible au local. Mais attention, ce n'est pas toujours synonyme de durabilité. Les produits locaux ne sont pas toujours bio. Or, on sait que la question la plus importante à se poser pour juger de l’écoresponsabilité d’un produit, c’est son mode de production, pas forcément le transport car le premier a une empreinte carbone supérieure.

Ce qui m'intéresse c’est aussi d’analyser le tissu local autour du restaurant. Par exemple, si un chef peut faire sa carte n’importe où en France, ça m'interpelle et ça ne me séduit pas.

 

Engager toute son équipe

L’engagement en cuisine doit se ressentir en salle. Et pour cela, les restaurateurs ont besoin de transmettre leurs valeurs à tout le personnel, notamment ceux en contact avec la clientèle. Ainsi lors de la conception d’un plat, le chef explique sa démarche aux serveurs, pour qu’ils puissent la présenter ensuite aux clients.

 

Créer un écosystème global

Un restaurant, c’est un véritable écosystème. Et l’écoresponsabilité que l’on retrouve dans l’assiette, on doit aussi la retrouver ailleurs. 

Cela peut passer par : 

  • la collecte du marc de café par des sociétés qui font pousser des champignons,
  • le choix d’un fournisseur d'électricité verte, 
  • une certaine rigueur dans le tri et l’organisation de la collecte des déchets.

 

Ou le fait de ne plus servir d’eau en bouteille. Sur ce point, j'insiste car les boissons cachent un énorme coût carbone. Opter pour des softs consignés est donc aussi une bonne pratique à mettre en place.

 

Créer des synergies avec les autres restaurateurs

Un restaurant n’est pas une île. Pour avancer dans la bonne direction, il est intéressant de regarder ce que font les voisins. Cela peut même créer des synergies, comme à Rennes où un restaurateur se fait livrer des algues toutes les semaines et d’autres chefs viennent ensuite se fournir directement chez lui. En mutualisant leurs commandes, ils ont donc accès à un produit qu’ils auraient eu du mal à se faire livrer individuellement.

Quelles sont les démarches à bannir ?

La perfection n’existe pas. Je ne juge pas donc pas un restaurant sur le fait qu’il soit parfait mais sur le fait qu’il se pose des questions. Ce qui est important à mon sens, c’est qu’il affiche son engagement, qu’il soit transparent sur sa démarche et qu’il accepte de répondre aux questions des clients. 

 

Il y a tout de même une pratique qui me gêne : c’est le fait de présenter le même plat signature toute l’année. Et ça, même les grands chefs le font. Il devrait pourtant y en avoir un par saison. Et c’est tout à fait faisable ! Prenez la tomate mozzarella, elle peut tout à fait être adaptée. En Italie, par exemple, on sert une orange-mozza en hiver et c’est délicieux. Par contre, cela nécessite d’expliquer la démarche au consommateur.

Les restaurateurs engagés ont-ils plus de mérite que les autres ?

Je me méfie de la posture morale liée à l’écoresponsabilité. Pour moi l’écoresponsabilité est un choix personnel, une façon de défendre l’honneur de son métier. Pas besoin de récompense pour ça.

 

Ceci étant dit, je suis aussi sensible à l'écoresponsabilité parce que ça me fait découvrir des produits que je ne connais pas. Il y a peu, je me suis rendue dans une brasserie du 10e arrondissement de Paris. Il y avait à la carte des crevettes, servies avec un guacamole de petits pois

 

Habituellement, je ne prends jamais de crevettes parce qu'elles ont un énorme impact environnemental. Mais le serveur m’a expliqué qu’il s’agissait de crevettes de Saint-Herblain, près de Nantes, cultivées sans pesticides ni antibiotiques… Je ne connaissais pas. Cela m’a permis de déguster une version durable de l’avocat-crevette et je me suis régalée !

Chaque restaurant est unique. À vous de vous approprier ces critères d’écoresponsabilité en fonction de votre concept, de votre clientèle et de vos valeurs.