Nicolas Carro
Hotel de Carantec - Restaurant Nicolas Carro
Nicolas Carro, partisan d’une cuisine locale et durable
C’est sur les côtes du Finistère que le chef Nicolas Carro officie dans son restaurant étoilé au guide Michelin. Depuis 2019, il y propose une cuisine de saison, locale et engagée.
Pouvez-vous nous présenter rapidement votre parcours ?
J’ai un parcours des plus scolaires : BEP, bac pro, BTS, licence... En sortant de ma licence, j’ai eu l’opportunité d’être assistant de direction dans un hôtel de La Réunion. Mais la haute gastronomie m’a toujours fait vibrer, alors je suis reparti de zéro au sein d’établissements étoilés : commis, chef de partie, etc.
Après quelque temps à Londres, j’ai eu la chance de passer six ans auprès du chef Olivier Nasti en Alsace. Il m’a donné l’envie d’avancer. J’ai appris l’entrepreneuriat avec lui. Ces années ont été primordiales pour moi.
Et comme le Breton est migrateur, mais qu’il finit toujours par revenir à ses origines, j’ai repris en octobre 2019 l’Hôtel de Carantec, au moment du départ en retraite du chef Patrick Jeffroy. Ça s’est fait en trois mois, mais quand les planètes s’alignent, on ne doit pas trop réfléchir.
Quelle est votre définition d’une cuisine durable ?
La cuisine durable, il faut savoir la respecter, l’écouter et l’optimiser au maximum. Il faut notamment accepter de ne pas avoir le produit que l’on désire, que ce soit pour ménager la saisonnalité ou à cause de problèmes d’approvisionnement. Cela nécessite d’être à l’écoute de ses producteurs.
Il faut aussi respecter le produit jusqu’au bout et ne pas faire n’importe quoi avec. Pourquoi on désosserait une viande à la va-vite, alors qu’on peut le faire plus correctement en prenant le temps ?
Enfin, quand on cuisine de manière durable, on optimise sa manière de faire. Au restaurant, nous sommes passés de 100 kilos de déchets par jour à 120 kilos par semaine seulement. Et si on enlève les biodéchets, à 40 kilos hebdomadaires !
Comment les produits de la mer sont-ils devenus le Cœur de votre cuisine ?
Très honnêtement, j’ai eu un peu de mal au départ. Je m’y connaissais plus en viande. La première année au restaurant, j’ai fait du lièvre et du pigeon maturé 21 jours. Ça a été un vrai flop !
Puis, un de mes pêcheurs m’a ramené de la langouste, elles sont parties comme des petits pains. C’est là que je me suis dit « bon, la côte de bœuf, ce n’est pas chez nous ». J’ai alors décidé de prendre le virage du poisson. C’est venu naturellement, le lieu et les produits m’ont finalement inspiré.
Il me reste une viande à la carte, j’ai aussi une option végétarienne. Moi, je veux seulement que le client ressorte avec le sourire de chez moi.
De quelle façon, plus particulièrement, travaillez-vous le poisson ?
Déjà, je ne choisis pas les produits. Quand les pêcheurs m’amènent leurs caisses en bas du restaurant, je prends ce qu’il y a : trois mulets, un bar, des daurades... C’est parfois au grand désarroi de mes clients qui ne comprennent pas pourquoi ils n’ont pas tous la même chose dans leur assiette.
Ensuite, je travaille le poisson comme de la viande. On le fait maturer via un froid sec et ventilé, on le vide et on le pend par la queue. On peut le garder ainsi quelques jours. On évite de le glacer, comme cela il ne rend pas d’eau et il n’en sera que meilleur dans l’assiette.
Pourquoi les produits locaux sont-ils si importants pour vous ?
C’est important de valoriser le travail des producteurs autour de nous, notamment les maraîchers. J’ai la chance d’être en Bretagne, une région où il y a tout ce qu’il faut pour ma cuisine : de l’aloé vera, du gingembre, des fruits de la passion, des tomates, des salsifis.
Au restaurant, on est locavores à 35 kilomètres, sauf pour la vanille, le chocolat et le café. Le matin au petit déjeuner, à l’hôtel, on ne propose pas de saumon, mais une truite qui est élevée à 10 kilomètres du restaurant. On a aussi un jardin qui nous permet de faire pousser nos herbes aromatiques et nos fleurs.
Comment arrivez-vous à faire rimer passion et démarche engagée ?
La passion, elle est faite et donnée par mes équipes et par mon entourage. Une bonne partie de ma famille exerce le métier d’agriculteur, je sais donc que le produit et l’endroit dont ils viennent sont importants.
J’ai rencontré au cours de ma carrière pas mal de maraîchers qui m’ont aussi sensibilisé. Ils me disaient « Vous, les étoilés, vous voulez toujours des légumes parfaits ». J’ai donc appris à cuisiner autre chose que des « carottes stylo ». Chez Olivier Nasti, en Alsace, j’ai aussi travaillé à respecter le vivant.
Et puis, mes enfants me rappellent tous les jours pourquoi il faut faire attention à notre planète et à ses ressources.
Comment IMPLIQUEZ-VOUS VOS équipes dans cette démarche durable ?
Quand on travaille chez moi, on a intérêt à connaître l’esprit de la maison. Sans l’équipe, on ne fait rien et la cohésion est primordiale. On parle ensemble de la carte, des produits, d’où ils viennent et de comment on les cuisine. C’est important.
Toute l’équipe est véritablement engagée, ils sont tous demandeurs et adhèrent à 100 % à la démarche durable du restaurant.
Quelles autres actions durables menez-vous dans votre restaurant ?
Nous avons mis en place depuis trois ans de nombreuses actions concrètes :
- On a, par exemple, enlevé les nappes pour avoir une empreinte environnementale plus faible.
- On propose de l’eau filtrée à nos clients, ce qui permet aussi un meilleur confort pour l’équipe qui n’est plus obligée de transporter des bouteilles d’eau.
- Nos tables sont faites en bois de chêne du coin, fabriquées par un artisan local à dix minutes d’ici.
- Plus aucun polystyrène ne rentre chez nous.
Concernant les économies d’énergie, tous nos frigos sont passés en gaz propre et nous avons mis des ampoules LED dans tous nos bâtiments.
Nous avons encore plein de choses à mettre en place bien sûr. Comme avoir des serviettes en lin de couleur naturelle sur nos tables, fabriquées dans une filature pas loin d’ici qui utilise du lin 100 % breton. C’est mon prochain objectif.