Emploi et handicap :
quel management ?
Peu de turn over, des clients conquis et l'humain au cœur du management… C'est le quotidien de ces restaurateurs qui ont fait le pari gagnant de l'inclusion. Découvrez tous les secrets d'un management pas si particulier avec l’équipe d’En 10 saveurs, un restaurant traiteur de Levallois-Perret qui emploie des personnes en situation de handicap mental.
Un restaurant « simplement différent »
En 2019, Nathalie et Christophe Guerrier créent les restaurants En 10 saveurs à Levallois-Perret. L’objectif, créer un lieu où leur fils Marin, porteur de trisomie 21, pourra s’épanouir professionnellement.
Depuis, l’équipe a grandi et le restaurant a étendu son activité pour proposer un service de traiteur pour les entreprises. Bientôt, ils ouvriront même une nouvelle cafétéria. Autant dire que le modèle fonctionne.
En cuisine et en salle Marin, Noha, Louis et Maxime, tous porteurs d’un handicap mental, assurent leurs missions quotidiennes comme dans n’importe quel restaurant, sous l’encadrement bienveillant de Marcus.
« Un restaurant ‘simplement différent’, c’est notre leitmotiv », explique Emma Barbot-Maury, chargée de communication événementielle pour En 10 saveurs. « D’ailleurs, quand les gens poussent la porte de l’établissement, ils ne savent pas que nos collaborateurs ont un handicap. Ce n’est écrit nulle part. L’idée, c’est juste de montrer qu’ils sont aptes à travailler comme tout le monde. »
En France, 12 millions de personnes sont touchées par le handicap. 18 % d’entre elles sont au chômage, ce qui représente près du double de la moyenne nationale. Grâce à ses métiers manuels la restauration représente un formidable vivier d’emploi pour ces travailleurs.
Le profil du manager idéal
Formation
Selon la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, les entreprises de plus de 250 salariés sont dans l’obligation de désigner un Référent Handicap ayant suivi une formation spécifique.
Les plus petites structures n’ont pas cette obligation, et les employés s’investissent d’eux-mêmes dans le projet car cela correspond à leur quête de sens professionnel. Et comme le souligne Emma Barbot-Maury : « À mon sens la formation n’est pas primordiale, il s’agit plus d’une question de savoir-être et de capacités à s’adapter à des publics différents ».
À titre d’exemple, Marcus, le responsable du restaurant En 10 saveurs est issu du secteur de la restauration et n’a pas suivi de formation complémentaire. « Le poste m’a attiré parce que je cherchais un métier avec davantage de sens. Le projet m’a séduit et même si je n’avais pas de formation spécifique, je savais que je disposais des qualités humaines nécessaires pour assurer cette mission. »
Pour celles et ceux qui souhaiteraient néanmoins bénéficier d’un module de formation sur la question de l’embauche et du management des personnes en situation de handicap, des solutions existent. C’est notamment le cas de la Mission handicap du GNI-HCR (Groupement National des Indépendants de l’hôtellerie-café-restauration) dont l’objectif est d’informer, de conseiller et d’accompagner les restaurateurs sur les questions liées au handicap.
Qualités humaines
Pour encadrer une équipe composée totalement ou en partie de personnes présentant un handicap mental, la souplesse, la bienveillance, la patience, l’écoute et la compréhension sont des valeurs clé.
« Il est également important de savoir anticiper », ajoute la chargée de communication du restaurant. « Après quatre ans, Marcus connaît l’équipe par cœur. Il est capable de voir venir une situation délicate. Si l’un des jeunes est particulièrement agité, il va aller vers lui et désamorcer une crise ou un conflit assez rapidement. »
« Il faut aussi savoir faire preuve de beaucoup de pédagogie », souligne le responsable. « Quand Marin et les autres sont arrivés, ils n’avaient jamais travaillé dans la restauration. Il a fallu les former de A à Z, et adapter les tâches à chacun en fonction de ses spécificités. Aujourd’hui ils sont très autonomes. Ils pourraient aller travailler dans n’importe quel restaurant. »
S’adapter au handicap de ses employés
Un restaurant adapté suppose d’effectuer quelques ajustements pour pouvoir accueillir des travailleurs en situation de handicap.
L'Ergonomie
Pour les personnes présentant un handicap moteur ou mental, les postes de travail doivent être adaptés en fonction des problématiques de chacun :
- hauteur du plan de travail ou de la caisse,
- choix des outils de travail (économes et ustensiles plus maniables, plaques électriques au lieu du gaz…),
- système de fiches à choix multiple à remplir par le client
- ou tablettes tactiles pour la prise de commande….
« Lors du recrutement, on ne demande jamais aux candidats quel est leur handicap, c’est d’ailleurs illégal » explique Emma Barbot-Maury. « En revanche, on leur demande à quoi nous devons faire attention pour faciliter leur quotidien. Cela permet de nous adapter au mieux. »
LA Signalétique
Utiliser des pictogrammes sur la caisse à la place des inscriptions habituelles, étiqueter les étagères en mentionnant les assiettes, les couverts, etc. dans la cuisine pour faciliter le rangement des ustensiles et disposer des affichettes détaillant tous les process en cuisine et en salle permet également de faciliter les missions des employés.
LE Menu
La carte doit être courte, relativement simple et ne pas changer trop souvent pour permettre aux cuisiniers de garder leurs repères et gagner en efficacité. Les plats du jour ne sont donc pas recommandés.
L'Emploi du temps
Les horaires peuvent être aménagés et adaptés aux spécificités de chacun. Chez En 10 saveurs, « quasiment tous les salariés sont aux 35 heures puisque notre objectif est de les préparer au monde du travail classique », détaille le manager.
Cependant, la souplesse est de mise, surtout lorsque l’équipe fait face à une période de rush intense. « Dans ces cas-là, on va leur accorder plus de pauses pour qu’ils puissent travailler dans de bonnes conditions, et leur ôter un peu de stress. » Concrètement, au lieu d’avoir une longue pause à la fin d’un service, les employés ont la possibilité de faire plusieurs courtes pauses pendant la période le pic d’activité. Ainsi, ils restent mieux concentrés et plus performants.
Les avantages et challenges d’un restaurant inclusif
Les avantages humains
La diversité profite au restaurant comme aux équipes. « Le côté humain change tout comparé à ce que j’ai pu connaître jusqu’ici en restauration », confie Marcus. Non seulement il constate d’énormes progrès chez ses collaborateurs, mais aussi une grande motivation, « car ce n’est pas facile de trouver un stage, et encore moins un emploi quand on est porteur de handicap », souligne-t-il.
Résultat, peu de turn-over dans les équipes. Tous sont là depuis l’ouverture il y a quatre ans. Une stabilité rare dans le secteur de la restauration.
En salle aussi, la clientèle fidèle ne s’y trompe pas. « Le contact avec le client est facile. De par leur handicap, ils n’ont pas la même retenue que nous. Ils appellent les habitués par leur prénom, leur posent des questions, leur font des compliments et les gens adorent cette proximité. »
LES Soutiens financiers
Outre cette ambiance familiale, l’embauche de personnes en situation de handicap peut aussi avoir un avantage financier. En effet, les entreprises de plus de 20 salariés employant des personnes handicapées peuvent bénéficier de la diminution ou suppression de leur cotisation Agefiph.
Elles peuvent également, quelle que soit leur taille, bénéficier d’allocations pour adapter un poste de travail ou offrir un accompagnement aux restaurateurs lors de la prise de poste. Des aides qui peuvent atteindre jusqu’à 4 000 euros pour un contrat de 6 mois minimum et 9 150 euros pour mettre son établissement aux normes handicapées et faciliter l’intégration du travailleur.
Les challenges au quotidien
Évidemment, manager une équipe composée d’une ou plusieurs personnes en situation de handicap suppose aussi des ajustements. « Cela demande du temps et de l’énergie, surtout au début », précise le responsable du restaurant. « Parfois il faut doubler les postes pour commencer et puis cela demande beaucoup de patience car il faut répéter très souvent les mêmes choses. »
Vous l’avez compris, ouvrir votre restaurant à des travailleurs en situation de handicap ne demande pas nécessairement de révolutionner le fonctionnement de votre établissement. En revanche, l’ambiance en salle comme en cuisine pourrait bien s’en trouver métamorphosée. Et si vous faisiez un premier pas vers l’inclusion en embauchant un ou une stagiaire ?